«Il faut pourtant sonner le tocsin. Tous les indicateurs sont au rouge. Dans les fameuses enquêtes PISA, la France est passée entre 2000 et 2009, pour la compréhension de l'écrit, du 10e rang sur 27 pays au 17e sur 33. La proportion d'élèves qui ne maîtrisent pas cette compétence a augmenté d'un tiers, passant de 15,2%, à 19,7%. En mathématiques, nous reculons également et nous sommes dans la moyenne maintenant, alors que nous faisions partie du peloton de tête. […] Et pour ne pas risquer d'être mal jugés, nous nous sommes retirés de l'enquête internationale sur les mathématiques et les sciences. […] Voici une autre enquête internationale qui, elle, fait référence aux programmes scolaires (Pirls). Elle porte sur les compétences en lecture après quatre années d'école obligatoire, donc à la fin du CM1. En 2006, sur 21 pays européens, la France se place entre le 14e et le 19e rang selon les types de textes et les compétences évaluées. Les enquêtes nationales vont dans le même sens. Le ministère a publié une synthèse des évaluations du niveau en CM2 de 1987 à 2007 (note d'information 08 38). Si le niveau est resté stable de 1987 à 1997, il a en revanche nettement baissé entre 1997 et 2007. Le niveau en lecture qui était celui des 10% les plus faibles en 1997 est, dix ans plus tard, celui de 21% des élèves. La baisse se constate quelles que soient les compétences. A la même dictée, 46% des élèves faisaient plus de 15 fautes en 2007, contre 21% en 1997.»
Céline Alvarez, ancienne institutrice de l'éducation nationale qui s'est faite connaître en couplant pédagogie Montessori et recherche en sciences cognitives, déclarait récemment «d’après un rapport du Haut Conseil de l’éducation, 40% d’enfants sortent chaque année du CM2 avec des lacunes qui les empêcheront d’avoir une scolarité normale au collège.» Alors même que l'OCDE indique dans ses rapports sur l'éducation que «les systèmes performants sont aussi ceux qui offrent des salaires élevés à leurs enseignants, surtout dans les pays au niveau de vie élevé» on constate qu'en 2012 «le salaire moyen des professeurs des écoles français est de 17% inférieur à la moyenne des pays de l'OCDE» et, en particulier, ils gagnent 54% de moins que leurs voisins allemands... En ce qui concerne le taux d'encadrement, une note du Centre d'analyse stratégique, organisme rattaché à Matignon, précise en 2011 que la France est le pays qui possède le plus faible nombre de professeurs par élève parmi les 34 membres de l'OCDE. Pourtant on aurait tort de croire que les causes soient toutes liées au passé récent, même s'il est vrai qu'il est difficile de faire évoluer un système de plus de 6750000 d'élèves du premier degré qui se pense aussi uniforme et national. Le sociologue François Dubet, directeur d’études à l’Ecole des hautes études en sciences sociales, souligne que «la longue sédimentation des traditions scolaires napoléonienne et républicaine ne pousse guère à l’innovation, perçue comme une rupture de l’unité de l’école» et il ajoute que «notre système éducatif – surtout l’enseignement secondaire – s’est construit à partir du Premier Empire de façon très centralisée, renchérit l’historien Claude Lelièvre, et ce non pas en vue de l’égalité mais pour que “l’Etat fasse nation”, comme le disait Napoléon Ier.» Dans un tel contexte, on ne peut être surpris de constater que bon nombre de familles soient en demande d'une autre école, loin des contraintes d'uniformité d'un système de si grande taille, et donc plus en phase avec la réalité de l'enfant. Car partout les expériences se multiplient et sont le fruit de pionniers lassés d'attendre que la rue de Grenelle bouge enfin. Céline Alvarez et son approche Montessori ont été évoquées mais il y a aussi la pédagogie Freinet, celle-là même choisie par le réseau d'écoles occitanes Calandreta qui scolarise 3600 enfants dans 3 collèges et 62 écoles qui vont de Pessac, près de Bordeaux, jusqu'à Nice. Cette école a choisi de coupler pédagogie active et bilinguisme précoce. Car comme le dit un article de Cerveaux & Psycho d'octobre 2014 intitulé «être bilingue : une chance pour les enfants», il s'avère que «quand un enfant maîtrise deux langues valorisées dans la société où il vit, il développe de meilleures capacités cognitives, linguistiques et est plus performant à l'école qu'un jeune monolingue.» Un autre article de décembre 2011 «Enfants bilingues : un avantage indéniable» détaille des gains significatifs chez le jeune bilingue en créativité, flexibilité mentale, mémoire et capacité d'abstraction. Ainsi à la question: l'occitan ça sert à quoi? (question à laquelle tout parent qui inscrit son enfant dans une école occitane doit savoir répondre) la réponse ne peut qu'être: l'occitan ça sert à tout! Car dans toute école bilingue, la deuxième langue est un outil pédagogique en soi dont ne dispose pas l'école monolingue. De plus la majorité des singularités orthographiques françaises sont signées oralement en occitan et, dans la mesure où elles se prononcent, l'enfant est guidé par un fil logique dans son apprentissage de la langue française. Le principe est le même avec d'autres langues latines telles le catalan et le corse. Quant aux langues comme le breton, l'alsacien, le basque, … les concepts sur lesquels elles reposent aident l'enfant à développer plus encore ses capacités d'abstraction.
Il serait injuste de dire que l'Éducation nationale reste totalement à l'écart d'un tel mouvement, comme en témoigne l'existence de classes bilingues français-occitan. Il convient toutefois de préciser que de telles initiatives sont très isolées, à titre d'exemple la Gironde ne compte que deux écoles qui se sont lancées dans l'aventure alors qu'il s'agit du département le plus grand de France métropolitaine en superficie et le 6ème en terme de population! Gilbert Dalgalian, psycho-linguiste spécialisé dans les apprentissages précoces de langues, ancien expert UNESCO en technologies éducatives s'est intéressé à leurs performances:
«L’éducation nationale, à un moment donné, non seulement s’est intéressée à la question du bilinguisme mais a fait des évaluations parce qu’elle ne pouvait pas se lancer dans cette initiative de filière publique bilingue si il n’y avait pas d’évaluation préalable. Les évaluations n’ont pas porté sur la langue régionale mais sur le français et les mathématiques et là, surprise … Les évaluations ont donné de petits écarts dès le CP, toujours au profit des moyennes des classes bilingues comparées aux classes monolingues de même âge et de même niveau, mais de petits écarts dont on ne peut tirer grand chose. Puis les écarts au CE1-CE2 se sont creusés un petit peu mais là aussi on n’a pas voulu tirer trop prématurément de conclusions. Et puis d’un seul coup au CM1-CM2 on a vu que les écarts étaient devenus énormes, dans tous les cas très importants, et les moyennes des classes bilingues étaient systématiquement supérieures en français et en mathématiques aux moyennes des classes monolingues, de même âge et de même niveau.»
Mais de telles initiatives peuvent parfois se heurter à de profonds verrous psychologiques. Ainsi un article du 11 février 2015 de la Depêche relatait qu'«il n'est pas banal de rencontrer une manifestation contre l'ouverture d'une classe bilingue français/occitan» et détaillait celle de Cambon dans le Tarn. La France est-elle le seul pays où des parents peuvent manifester pour une approche pédagogique objectivement moins performante? (Et qui concerne leurs propres enfants) Car comme le dit le Professeur Dalgalian:
«Grâce aux images IRM du cerveau on peut expliquer les facilités des enfants bilingues en langues et calcul : on constate en effet que l’aire de Broca est plus développée chez eux que chez l’enfant monolingue. L’aire de Broca, qui est située dans la zone préfrontale gauche s’occupe de tout ce qui est automatique en langue et de tout ce qui est formel, l’ordre des mots et les conjugaisons. Tout ça acquis quand on est petit a été automatisé et les automatismes sont stockés et gérés dans l’aire de Broca qui nous permet l’accès à la complexité et l’abstraction sans nous embarrasser l’esprit de la mise en forme qui y est faite automatiquement. On voit que la zone de Broca chez un enfant bilingue est plus grosse et intégrée et gère les deux langues donc il est plus performant que le monolingue qui lui a une zone plus petite, ou même chez le bilingue tardif qui a deux Broca mais qui sont construits séparément et donc il est tributaire d’un allez-retour volontaire et conscient. Chez le bilingue précoce on peut passer librement d’une langue à l’autre en reformulant librement son vécu.»
Claude Hagège, Professeur au Collège de France, parle dans son ouvrage «L'enfant aux deux langues» du seuil fatidique des 10-11 ans. En effet, il n'est nul besoin d'être un expert pour comprendre que les langues doivent s'acquérir tôt. Pourtant le système traditionnel attend que l'enfant ait 11 ans pour faire intervenir un professeur spécialisé dans leur apprentissage... Il fonctionne donc à contre-courant du développement de l'enfant!
Malgré la présence active de blocages psychologiques et institutionnels, la nécessité de construire un système éducatif performant a remis en selle la langue occitane et ses consœurs. S'appuyer sur ces langues pour développer le bilinguisme précoce permet non seulement de le faire à un coût défiant toute concurrence, mais aussi d'avoir des enfants qui trouveront mieux leur place dans un monde globalisé et une Europe multilingue et multiculturelle. Loin de constituer une opposition, local et global sont les deux extrémités d'un même ensemble cohérent, car comme le stipule le dicton «Les arbres aux racines profondes sont ceux qui montent haut.»
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