dijous, 28 d’abril del 2016

Du sentiment de supériorité dans la pratique des langues

Dans l'ouvrage «Histoire sociale des langues de France» Pierre Escudé décrit un ensemble de conditions, particulièrement remarquables, qui ont prédisposé au rejet des langues régionales
«Ne pas parler français dès la naissance est un handicap culturel, social et politique : un manuel de "méthode directe" est ainsi destiné aux "sourd-muets, aux enfants de nos provinces patoisantes, aux jeunes indigènes de nos colonies, ainsi qu'aux élèves des classes de français de nos colonies." (Boyer, 1905)»
Si depuis, certains progrès ont été réalisés dans le rapport à ces langues, l'auteur note toutefois que 
«L'épisode de la non-ratification de la Charte en 1999 a réveillé les anciens réflexes présents dans les "jacobinières" (Ozouf, 1984:414) de tout l'échiquier politique. [...] Ce retour aux "valeurs" redéfinit une hiérarchie violente et verticale des langues et incite ouvertement à un retour au monoliguisme, l'anglais de communication étant désormais paré des atouts de l'ex-français des Lumières.»
L'anglais justement... Il n'est nul besoin de considérer le niveau de pratique désormais quasi confidentiel de la langue française en Louisiane pour se rendre compte que les mêmes causes produisent les mêmes effets partout. Et, comme en France métropolitaine, les clichés et raisonnements à court terme ont la peau dure. John Mc Worther publiait en février 2014 dans le journal New Republic (New York) un article cinglant qui en est la parfaite illustration
«On apprend le français pour communiquer avec … qui, exactement? Certains mourront d'envie de lire Sartre et Molière, tant mieux pour eux. Mais qu'en est-il de langues comme l'espagnol et le chinois qui sont utiles à apprendre car nous les rencontrons dans la vie de tous les jours? J'ai vu des professionnels de la santé rater de réelles opportunités financières juste parce qu'il se trouvait qu'un autre candidat parlait espagnol, et le chinois deviendra de plus en plus important dans le monde des affaires. Des compétences en arabe sont fortement recherchées sur la scène géopolitique. C'est génial de savoir que le français vous permet d'ignorer les sous-titres du film visionné dans le cinéma d'art et d'essai où l'on se rend à l'occasion, mais on ne voit vraiment pas bien pourquoi on devrait le considérer comme une priorité dans l'éducation des enfants.»
En avril 2016, c'est Jeremy Paxman qui enfonçait le clou dans le Financial Times
«La culture européenne manquerait d'épaisseur sans Montaigne, Descartes, Debussy et Cézanne, sans oublier le dictateur des dictateurs, Napoléon Bonaparte. Le problème est que ça date de belle lurette et que le monde d'aujourd'hui est anglophone. Dans le combat séculaire opposant français et anglais il y a un vainqueur, et prétendre autre chose est comme suggérer que Johnny Hallyday est le futur de la pop.
Il n'y a aucune raison à ce que les Britanniques jubilent car cela relève de l'héritage d'un empire construit il y a bien des générations et de la domination des US sur le reste du monde. Mais l'issue de cette lutte est claire: l'anglais est la langue de la science, de la technologie, des voyages, des loisirs et du sport. Pour être un citoyen du monde, vous devez l'avoir pour langue.
La façon dont le gouvernement français dépense son argent est son affaire. De notre point vue, la seule question importante est dans quelle mesure il est bon de promouvoir la langue française et ses valeurs. Quand l'ancienne partie de l'Afrique du Sud-Ouest, qui fut une fois allemande, accéda à l'indépendance en tant que Namibie, elle adopta avec raison l'anglais comme langue officielle, elle le fit avec le très bon argument que cela donnerait à ses citoyens un avenir.
[...] Si vous êtes un locuteur natif en anglais, étudiez absolument le chinois, l'arabe ou l'espagnol. Si vous le devez, étudiez le français, parce que c'est une belle langue. Mais restons loin de l'idée que cela vaut vraiment la peine de l'apprendre comme moyen de communication.»
Finalement, quelles que soient l'échelle et l'époque, le raisonnement reste le même. Selon eux l'Histoire a fait le tri et il ne resterait plus au français que la gloire passée de Montaigne, Descartes, Debussy et Cézanne, comme il ne resterait plus à l'occitan que le souvenir d'avoir été la langue des troubadours, la langue de la littérature par excellence des XIIème et XIIIème siècle, ou celle du prix Nobel de littérature du début du XXème siècle, Frédéric Mistral. Une logique darwinienne a donc séparé les gagnants des perdants, et engendré un authentique sentiment de supériorité linguistique et culturel, particulièrement notable dans le ton employé par les journalistes anglais et américain. Et c'est ce même sentiment de supériorité qui sert d'assise à la promotion d'un monolinguisme agrémenté de l'enseignement non précoce des langues étrangères, titre auquel n'a plus droit la langue française au sein d'une certaine intelligentsia anglophone qui lui préfère un rôle folklorisant. Mais quel gâchis! Qui saura dénoncer cette logique d'opposition des langues et lui substituer un système collaboratif? Dans l' «Enfant aux deux langues», Claude Hagège, Professeur au Collège de France, décrit cette situation bien connue des ethnologues et linguistes, où les mères de certaines zones asiatiques ou africaines se regroupent pour élever leurs fils et filles. Dans le cas commun où un enfant a une mère et 3 belle-mères et qu'elles parlent toutes des langues différentes, il n'a aucune peine à en maîtriser quatre. Ceci vaut pour tous et pas simplement pour les plus doués, il faut juste commencer bien avant le passage à la puberté tout en respectant le principe de Ronjat, «une personne = une langue», qui garantit un apprentissage sans interférence entre les différentes langues. L'éducation est certainement l'endroit où le multilinguisme fait le plus la preuve de son efficacité. Ainsi poursuit Pierre Escudé
«Les évaluations académiques ou nationales confirment des résultats connus ailleurs depuis longtemps : une classe d'élèves bénéficiant d'un bilinguisme scolaire bien construit obtient des taux de réussite toujours supérieurs en moyenne à une classe monolingue, à conditions sociales égales.» 
C'est tout le développement des capacités cognitives de l'enfant qui se trouve nettement stimulé par le bilinguisme précoce. Là encore la collaboration prime sur la mise en opposition. Ce qui permet d'aller bien au-delà d'un don particulier pour les langues, en particulier l'anglais, ou de résultats scolaires significativement meilleurs. Il fut un temps où les éditorialistes se questionnaient sur l'incapacité de la France à trouver sa place dans la mondialisation. À ma connaissance aucun n'a su construire une argumentation suffisamment solide pour l'expliquer. Ce pays qui fut jadis le plus riche d'Europe en termes de diversité linguistique et culturelle est désormais le plus pauvre. Dans de telles conditions, comment une nation profondément monolingue et monoculturelle pourrait-elle tirer son épingle du jeu dans les contextes européen et mondialisé? Éducation First, un programme international de cours et d’échanges dans les pays anglophones, notait dans ses conclusions en 2012 que 
«La France peut faire mieux. Le niveau d’enseignement de l’anglais en France est inférieur aux normes européennes, ce qui représente un obstacle, pour les adultes de ces pays, en termes d’accès aux marchés européens et mondiaux»
 Mais surtout il ressort que la France ne sait même pas exploiter sa proximité linguistique avec l'anglais 
«Malgré des racines latines communes avec la langue anglaise, la France se place dans le monde derrière certaines économies majeures en Asie telles que la Corée du Sud»
Et bien sûr, on ne sera pas surpris que les peuples déjà bilingues tirent leur épingle du jeu
 «Malgré l’héritage de l’Union soviétique et le fait que le russe soit imposé comme langue étrangère dans certaines parties d’Europe centrale, les adultes ont aujourd’hui appris à parler anglais».

Ce qui n'est pas sans conséquence pour la France comme l'indique le rapport

«La profonde réticence des Français à apprendre l’anglais conduit la France à se classer en dessous de la plupart de ses voisins en terme de niveau de langue. Cette défiance pourrait bien menacer la performance économique du pays dans une période difficile»
«Obstacle [...] en termes d’accès aux marchés européens et mondiaux», menace sur «la performance économique du pays», on voit bien à quel point le risque de déclassement national est grand quand on fonctionne sur des bases monolingues qui vont à contre-courant de ce qu'impose la mondialisation. Et c'est sans compter sur le côté culturel de la problématique, car la même phrase prononcée par un britannique avec l'accent d'Oxbridge peut s'avérer avoir un sens radicalement opposé dans un contexte texan ou africain. La capacité à se projeter dans l'environnement culturel de l'autre est un élément clef de plus à intégrer.

Évidemment il ne s'agit pas de mettre le bilinguisme en langue régionale sur un piédestal en inversant le sentiment de supériorité exposé en amont. Bien au contraire... Il faut montrer à quel point ce sentiment est décalé des réalités du monde d'aujourd'hui et promouvoir un modèle collaboratif où chaque langue et culture, en trouvant harmonieusement sa place, seront les garants du développement de l'homme de demain.

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